Antoinette dans les Cévennes : ou comment faire simple et grandiose

Antoinette dans les Cévennes : ou comment faire simple et grandiose

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Antoinette dans les Cévennes", vingt ans après son premier long-métrage "Les Autres filles", Caroline Vignal livre un film très abouti et une comédie de mœurs parfaite, avec une performance formidable de Laure Calamy.

Méfions-nous des apparences

Le nouveau long-métrage de Caroline Vignal, Antoinette dans les Cévennes, se présente d'abord comme une histoire simple. Un triangle amoureux dont on pourrait dès le début comprendre le développement habituel. Un exercice dans la tradition vaudevillesque que le cinéma français représente parfois avec un grand brio, plus souvent de manière médiocre - mais toujours fièrement en tout cas. Allons au fait, Caroline Vignal réalise avec Antoinette dans les Cévennes une performance très supérieure à ce qu'on peut attendre communément de cet exercice.

Antoinette (Laure Calamy) est professeure des écoles et entretient une relation adultère avec le père d'une de ses élèves, Vladimir (Benjamin Lavernhe). Alors qu'elle doit avec lui s'offrir une semaine en amoureux, il lui annonce au tout dernier moment qu'il part avec sa femme et sa fille pour une randonnée pédestre accompagné d'un âne dans les Cévennes, refaisant la célèbre route effectuée par Robert Louis Stevenson. L'écrivain et grand voyageur écossais l'a rapporté dans un récit de voyage paru en 1879 intitulé Voyage avec un âne dans les Cévennes. Ça ne s'invente pas, et c'est on ne peut plus clair. Antoinette est évidemment attristée par la mauvaise nouvelle, mais loin de se laisser abattre, elle décide de rejoindre leur itinéraire, espérant le croiser, même si son plan n'est pas vraiment plus défini que ça.

critique / avis film Antoinette dans les Cévennes : ou comment faire simple et grandiose

Elle réserve un gîte sur le parcours de randonnée, réserve aussi un âne dénommé Patrick et part donc presque guillerette. Antoinette, on peut la croire naïve, désordonnée, gentille, trop gentille, une victime de comédie parfaite pour notre époque cynique. En face, il y a Benjamin Lavernhe et un âne qui traîne des pattes. On peut encore se dire, nous sommes dans les premières minutes, Antoinette dans les Cévennes, ça passe ou ça casse.

Spoiler : ça passe, ça passe très bien. Comment peut-on faire la différence quand on se lance dans un schéma de comédie vu et revu mille fois ? On travaille avec des interprètes de très haut niveau, capable d'apporter par leur talent le meilleur dans tout ce que le vaudeville peut proposer, et qui iront même au-delà. Et si ça ne suffisait pas, on innove aussi en jouant avec un trio amoureux composé d'un âne. C'est inédit, et ce n'est pas sûrement pas si aisé que ça pour ses partenaires de jeu humains.

Laure Calamy

Oui, Laure Calamy, tout simplement. Il faut maintenant la compter, après plusieurs sorties remarquables dans des rôles secondaires au cinéma, notamment et dernièrement dans Seules les bêtes de Dominik Moll, au rang des comédiennes les plus fascinantes, capables - elles ne sont pas légion - d'incarner à elles seules des mondes entiers. Laure Calamy, Antoinette, est absolument tout ce qu'on peut être, en l'espace d'une heure et demie, et beaucoup seule face à un âne. Elle peint un caractère d'une force, d'une complexité et d'une richesse infinie, on dirait bien "comme on en voit qu'au cinéma". Que ce soit sur les planches de théâtre, dans la série Dix pour Cent, et dans des participations dans plus de trente films depuis 2001, son talent était déjà là, mais cette fois-ci, pour son premier premier rôle sur grand écran, elle a toute liberté. C'est un cadeau pour un ou une comédienne, et Laure Calamy le rend bien à Caroline Vignal en emmenant Antoinette dans les Cévennes très haut.

critique / avis film Antoinette dans les Cévennes : ou comment faire simple et grandiose

Deux séquences montrent particulièrement un jeu littéralement stupéfiant, deux moments où Antoinette se retrouve gênée, taquinée ou presque agressée. Le premier est lors de son arrivée au gîte, où dans un naturel désarmant elle livre les conditions et le motif de sa venue - en gros, complètement à l'arrache et pour voir son amant - avant de se prendre les remarques absurdes ou acerbes des autres randonneurs. D'abord joyeuse, l'ambiance devient instantanément pesante, le temps d'un passage si vif - une demi-seconde - à une terrible émotion sur le visage d'Antoinette. Le second est lorsque Eléonore (Olivia Côte), la femme de Vladimir, confronte Antoinette sur un chemin, une séquence structurée autour d'un long et même plan-séquence où les traits d'Antoinette, qui ne prononce aucun mot, disent tellement. Deux purs moments de cinéma, qui sont les deux grands sommets de comédie d'un film qui n'en manque pas.

Promenons-nous joyeusement dans les bois

Antoinette et Patrick cheminent dans les Cévennes, et comme dans un couple ça crie, ça galère au début, ça ne se comprend pas, et puis on trouve le rythme. Si triangle amoureux il y a, c'est celui de Vladimir, Antoinette et de l'âne Patrick, et encore. Pendant les premiers jours de sa randonnée, elle ne trouve pas Vladimir, mais elle ne le cherche peut-être pas tant que ça. Arrivera ce qui arrivera, et son tête-à-tête avec Patrick va durer. C'est une belle performance, Laure Calamy permettant, dans ses tentatives vaines de dialogue avec l'animal et dans le bouleversement intérieur apporté par cette randonnée méditative très particulière, d'exprimer mille émotions avec une intensité impressionnante par sa constance.

Ce sont les deux personnages principaux de Antoinette dans les Cévennes, même si Patrick, évidemment, ne fait que ce que fait un âne. Logiquement, Vladimir et Eléonore ne disposent finalement que peu de scènes, et uniquement avec Antoinette. La caméra et la mise en scène de Caroline Vignal ne quittant en effet jamais Antoinette, mais sans adopter sa perspective. Film à la troisième personne, son point de vue n'est jamais psychologisant, mais laisse tout le cadre à Laure Calamy pour explorer tous les champs que lui ouvrent ses qualités. C'est donc dans une certaine forme de retenue que Benjamin Lavernhe, de plus en plus parfait néanmoins, joue une partition volontairement neutre, un gars plutôt sympa, amoureux aussi mais lâche, une compagnie finalement inintéressante pour Antoinette qui aura vécu plus de choses dans sa relation avec l'âne Patrick.

critique / avis film Antoinette dans les Cévennes : ou comment faire simple et grandiose

Le personnage d'Olivia Côte est à l'arrière-plan mais, comme évoqué ci-dessus, la comédienne livre un mémorable dialogue avec Laure Calamy, dans une performance dont l'harmonie de jeu est idéale. Avec la qualité de l'écriture et de la mise en scène sobre de Caroline Vignal, avec la performance stupéfiante de Laure Calamy et des rôles secondaires parfaits, toujours dans le bon tempo, ne reste ainsi plus qu'à apprécier l'authentique drôlerie et tendresse des situations, les rencontres imprévues qui tournent en moments gracieux, et la très jolie et marrante histoire d'Antoinette et de son âne, avec tout ce qu'elle propose. On y trouvera à envisager la randonnée, à se demander qui est l'âne véritable du film, jusqu'où peut aller Laure Calamy, à se dire que les Cévennes c'est quand même très beau, que c'est un magnifique portrait de femme, que les gens sont peut-être cons mais sympas aussi et, enfin, que tout va bien se passer.

 

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, en salle le 16 septembre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Carton plein pour "Antoinette dans les Cévennes", exercice vaudevillesque dirigé avec une belle maîtrise par Caroline Vignal et sublimé par une incroyable Laure Calamy. Un moment de cinéma et de comédie gracieux et savoureux, à ne pas manquer.

Note spectateur : Sois le premier